Même si elle s’exerce le plus souvent de façon indépendante, la traduction est rarement une activité solitaire. Vous êtes, ou serez, sans doute amenés à collaborer avec d’autres professionnels pour répondre à un appel d’offres, gérer un gros projet, compléter vos services, relire ou faire relire votre travail, etc., mais comment faire si votre entreprise individuelle est une microentreprise dont la gestion simplifiée limite la flexibilité ?
Voici quelques pistes pour organiser la sous-traitance dans le cadre d’une microentreprise.
problème
Sous-traiter consiste à confier une partie ou la totalité d’un contrat à un autre entrepreneur, tout en conservant la responsabilité du travail accompli conjointement. Si vous êtes le donneur d’ordre, cela vous permet d’augmenter votre volume de travail et la diversité de vos prestations. En tant que sous-traitant, vous réalisez une prestation classique, mais pour un client qui n’est pas le destinataire final de votre travail (comme lorsque vous réalisez une mission pour une agence de traduction).
En général, la sous-traitance est un coût entrant dans le prix total de la prestation. À ce titre, il peut être déduit du chiffre d’affaires pour calculer le bénéfice imposable de votre entreprise (et donc votre impôt sur le revenu et vos cotisations sociales), mais dans le cadre très particulier du régime de la microentreprise, ce coût n’est pas déductible puisque les cotisations sociales sont calculées sur la totalité du chiffre d’affaires.
Lorsque vous recevez le règlement de la facture correspondant à l’ensemble de votre prestation, vous êtes donc contraint de payer des cotisations et contributions sociales sur une part de recettes qui ne vous revient pas (celle reversée à votre sous-traitant).
Exemple : si vous facturez votre client 100 € pour une prestation comprenant 80 € de traduction et 20 € de relecture effectuée par un collègue, vous allez payer 22,20 € de cotisations sociales (22,2 % des recettes encaissées) sur les 100 € perçus, au lieu de 17,76 € sur la part qui vous revient réellement, et votre sous-traitant paiera à son tour des cotisations sur ses 20 € de recettes.
Sans compter le surplus d’impôt sur le revenu, également calculé sur la base de votre chiffre d’affaires dans le cadre du régime de la microentreprise.
Bien sûr, vous avez le droit de payer plus que vous devez, mais il faut avouer que soumettre deux fois la même prestation au calcul de cotisations sociales et d’impôt n’est pas optimal. Heureusement, il est possible de contourner cette difficulté...
solutions
1. échanger ses services
Première option : l’échange de bons procédés. Si vous faites régulièrement appel aux services d’un collègue qui vous sollicite également, vous pouvez décider d’échanger vos services à titre gracieux au lieu de vous facturer mutuellement. Il existe même des plateformes qui organisent ce type de troc entre entreprises.
L’idée a le mérite d’être simple, mais ne vous évite pas entièrement la paperasse. En effet, mieux vaut définir les termes de votre accord par écrit pour donner un cadre juridique à votre collaboration et anticiper les éventuels problèmes. S’il s’agit de services de relecture : combien de mots par mois, ou par an, vous engagez-vous à relire en échange d’une prestation similaire ? Que faire si les volumes confiés sont déséquilibrés ? Quand et comment renégocier les termes de l’accord ? Quel préavis pour y mettre fin ? Quel tarif s’applique et dans quelle situation ? etc.
2. facturer séparément
Deuxième solution : facturer le client final pour chaque élément de la prestation. Chacun émet une facture pour sa contribution et le client vous règle séparément. Vos cotisations sociales et votre impôt sur le revenu sont donc bien calculés uniquement sur le fruit de votre travail.
Attention toutefois à rester dans le cadre de la loi qui interdit la société de fait. Deux microentreprises collaborant sur un même projet ne peuvent pas facturer chacune une part de la même prestation (la traduction d'un document par exemple), mais elles peuvent s'associer ponctuellement pour fournir des services complémentaires (la traduction pour l'une et la relecture pour l'autre).
Autre problème : la relation client. Si vous sous-traitez une partie de votre prestation, vous préférez sans doute être le seul interlocuteur de votre client, afin de préserver une relation privilégiée que vous avez établie et cultivée au fil du temps. Par ailleurs, votre client trouvera sans doute plus simple de régler une seule facture pour la traduction de son document.
3. créer un GIE
Si vous souhaitez travailler régulièrement avec d'autres indépendants sans pour autant renoncer au régime de la microentreprise, si simple et si pratique en début d’activité, vous avez la possibilité de créer une entité séparée, appelée Groupement d’intérêt économique (GIE) pour organiser votre collaboration.
Le GIE permet à des entreprises déjà en activité (2 minimum) de se regrouper afin de se partager un contrat, de payer des dépenses communes (services, locaux, matériel…) ou d’encaisser le règlement de travaux réalisés conjointement, tout en conservant leur indépendance.
Même si le GIE a sa propre comptabilité, il n’a pas vocation à réaliser des bénéfices et fonctionne plutôt comme une association. Son mode de fonctionnement est prévu dans des statuts et ses membres se répartissent ses bénéfices et ses dépenses qu’ils déclarent chacun de leur côté.
Pour créer le GIE et garantir une bonne entente entre ses membres (qui sont conjointement responsables de ses éventuelles dettes), il est important de bien définir ses règles dès le départ. Les statuts précisent son objet, ses membres, son siège social, sa durée, son mode d’administration et son capital de départ (qui n’est pas obligatoire). Les membres se réunissent en assemblée pour prendre l’ensemble des décisions selon les règles qu’ils définissent librement entre eux.
Toutefois, au vu de ce formalisme, il vaut mieux réserver cette dernière option à des collaborations régulières.
RÉTROCESSIONS D'HONORAIRES, DÉBOURS... ATTENTION : TERRAIN MINÉ !
Handicapés par la simplicité de leur régime, beaucoup de microentrepreneurs libéraux croient trouver leur salut dans deux dispositions du Code général des impôts : la rétrocession d’honoraires et le débours. Cependant, la définition de ces termes est très précise et doit être bien comprise pour éviter de lourdes conséquences comptables et fiscales.
- LA RÉTROCESSION D'HONORAIRES
Officiellement, la rétrocession d’honoraires est une opération comptable permettant à un professionnel libéral de reverser de sa propre initiative une partie de ses honoraires (recettes) à un autre professionnel libéral en contrepartie d’un service rendu. À priori, c’est une solution pratique, qui vous permet de rester le seul contact de votre client tout en déduisant la partie des recettes qui revient à un autre professionnel de votre déclaration, mais dans les faits, l’administration fiscale requalifiera systématiquement la situation en sous-traitance à partir du moment où il existe une obligation de payer le collègue travaillant pour votre compte (la somme à régler fait l'objet d'un accord et ne s'effectue pas de votre « propre initiative »).
- LE DÉBOURS
Les débours sont des achats effectués pour le compte d’un client qui peuvent vous être remboursés sans augmenter votre chiffre d’affaires, à condition d’être : 1. demandés par le client (mandat par écrit), 2. facturés à part de la prestation principale et 3. remboursés au centime près. Étant donné que les débours viennent diminuer les recettes déclarées par les microentrepreneurs, ils sont à employer avec précaution et dans le strict respect de leur définition, pour ne pas entraîner de pénalités en cas de contrôle. N’oubliez pas de conserver les pièces justificatives (factures et reçus) !
On le voit, il est compliqué d’organiser une sous-traitance lorsqu’on exerce son activité dans le cadre d’une microentreprise. C’est d’ailleurs un des rares inconvénients de ce régime fiscal et social. Si vous envisagez de travailler régulièrement avec d’autres, il vaudrait mieux déclarer un bénéfice « réel » en changeant de régime fiscal (déclaration contrôlée) ou de structure juridique (création d’une société).
Merci à Orane Desnos (Tradistica), qui m’a posé cette question et inspiré le sujet de cet article. Si vous vous interrogez également sur des sujets en lien avec la gestion ou la promotion de votre activité libérale, envoyez-moi un message !
Pour aller plus loin :
- L'auto-entrepreneur et la sous-traitance (LegalPlace)
- Reconnaître et comptabiliser la rétrocession d'honoraires (George le robot comptable)
- Base d'imposition des BNC - Nature des recettes (Bulletin officiel des finances publiques)
- Le Groupement d’intérêt économique, une structure pour la coopération économique (ministère de l’Économie)
- GIE — Groupement d’intérêt économique (Bpifrance)
- Le GIE : définition, statuts, fonctionnement (L'Expert-Comptable)
- France Barter : réseau d'échanges B2B
L'auteure
Après avoir travaillé plusieurs années en tant que conseillère auprès de PME, Gaële Gagné est devenue traductrice indépendante en 2005. Aux commandes de Trëma Translations, elle traduit de l'anglais vers le français et partage ses connaissances en marketing et gestion d'entreprise avec ses collègues traducteurs dans un blog intitulé Mes petites affaires et par le biais de formations dispensées via Edvenn.
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Marie (vendredi, 11 décembre 2020 06:20)
Bonjour Gaële, merci pour cet article très instructif. Je me posais justement la question dernièrement : traductrice en micro-entreprise, je vais partir en congé maternité dans quelques mois. Je m'interroge sur la stratégie la plus appropriée, notamment avec un client direct avec qui je travaille tous les mois : sous-traiter pendant quelques mois, mais en payant des cotisations "en trop" (ce n'est pas l'idéal...) ? Mettre mon client en relation avec un.e collègue de confiance pendant mon absence, en croisant les doigts pour ne pas perdre la relation client à mon retour ? Si certaines personnes passent par ici et se sont retrouvées dans cette situation, vos retours d'expérience m'intéressent !
Bonne journée !